Mise à jour : le 29 décembre 2007 13:42
Cotre Ernest-Manchon pilote de baie de Seine, suite...
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--- La construction des cotres.

En août 1889, le nouveau règlement du pilotage précise : “ Les pilotes de Quillebeuf doivent avoir propriété collective, pour le service de la station, des bateaux-pilotes en nombre suffisant pour assurer leur service à la mer... Les bateaux-pilotes de la Seine doivent aborder, tout le temps qu’ils sont en vue d’un bateau, un pavillon rouge portant une ancre blanche en son milieu et la lettre R en blanc dans le coin supérieur de la gaine. “ Réunis le 11 octobre 1890, les pilotes décident d’accepter l’emprunt de 75 000 F que leur propose la Chambre de Commerce. On leur soumet les plans et devis de plusieurs constructeurs du Havre, Honfleur, de Saint-Vaast et de Granville. La réunion des pilotes “ décide à l’unanimité que cette construction sera confiée à monsieur L. Julienne de Granville, dont les devis sont de beaucoup les plus avantageux, et sur le compte duquel on a d’excellents renseignements. Les bateaux à construire seront chevillés en cuivre depuis la quille jusqu’à la flottaison, et dans ces conditions le constructeur ne sera pas tenu de fournir la quille en fer, enfin ces bateaux seront gréés en cotres francs. “

Deux pilotes sont délégués à la surveillance de leur construction. Par reconnaissance du prêt “ désintéressé “ de la Chambre de Commerce, les trois bateaux en construction s’appellent Pouyer-Quertier pour le R1 Emile-Duchemin pour le R2, et Ernest-Manchon pour le R3, en hommage aux président, vice-président et secrétaire de la dite Chambre.

Les trois cotres de Julienne.

Aucun plan de ces cotres n’est conservé dans les archives du pilotage, et nous avions perdu tout espoir de connaître leurs formes exactes, lorsque fut trouvé (1) un plan de “ bateau-pilote de la Basse Seine “ ( 1890 ), signé de G. Soé, un architecte naval dont on trouve des plans publiés dans Le Yacht à la même époque. Cet esprit très curieux a reproduit des plans d’autres constructeurs, comme par exemple ceux de la Charité, H31 construit par Paumelle sur plans de E. Galodée en 1903. Le titre, la date et les dimensions indiquées en marge, nous amènent à identifier ce plan comme celui des cotres de Julienne. Ils furent payés le même prix, et semblent n’avoir différé entre eux que par des détails. Le plan de voilure, n’a pas été retrouvé, mais on peut le rapprocher du plan projet de bateau-pilote pour l’Amérique du Sud, établi par Julienne en 1893, et sans doute inspiré des cotres de la Seine.

(1) Nous devons remercier ici madame Mathikine du Musée de la Marine, qui est à l’origine de cette information. Louis Julienne, constructeur et architecte naval. 

Contrairement aux autres constructeurs granvillais, Louis Julienne né en 1842 n’est pas issu d’une famille de charpentiers. Il débute pourtant très jeune, vers 1852, comme apprenti dans les chantiers de sa ville natale. IL y découvre le métier de la charpente mais dans le même temps et de sa seule initiative, l’art du dessin et de l’architecture qui lui permettent d’acquérir un renom dû tant à ses qualités d’architecte que de constructeur.
Tout juste âgé de vingt ans, il lance son premier bateau, l’Onde, une petite goélette de 10 m d’inspiration américaine pour monsieur Thomson, qui est remarquée par un armateur granvillais. Aussi son second bateau est une goélette de 160 tonneaux, suivi d’un trois-mâts l’Amiral-Cécile. Outre les trois pilotes destinés à la Seine, Julienne construira bien sûr quelques unes des plus belles bisquines : l’Edouard qui remporte les régates du Havre en 1886, le Vengeur et la Rose-Marie et des commandes pour d’autres ports : La Rochelle, Paimpol ou Nantes. Une part importante de son travail est destiné aux armements moruriers granvillais et leur déclin le mettra en difficulté ; l’obligeant à accepter les commandes de charpente terrestre bien moins valorisante pour cet homme passionné de navire. La construction des cotres. ( suite )

En attendant la mise en service des constructions de Julienne, trois cotres de Saint-Vaast, Jason, Alliance et Amélie sont affrétés en 1890 pour servir aux pilotes. Un quatrième voilier fut acheté à la même époque par la corporation : un flambart, tel qu’il est décrit dans le registre matricule des bâtiments du commerce de Rouen. Baptisé Louis-Marie, construit à Saint-Vaast-la Hougue en 1884, il est donné pour un port de 3,76 tonneaux. On lui attribua le numéro R4 et fut payé 1420,95 F. On ignore son rôle exact au pilotage. Servait-il pour réapprovisionner en pilotes les cotres en croisière, comme le laisse supposer un de compte-rendu de la Chambre de Commerce ? Les différents prix payés indiquent bien la hiérarchie relative de ces bâtiments. En 1891, une embarcation de rechange, le canot servant au transbordement entre le bateau-pilote et le navire à servir, coûtait 336,15 F. Le flambart Louis-Marie fut sans doute assez vite  vendu, car il passe au quartier de Honfleur en septembre 1896.

Le même compte de gestion porte le prix de revient des trois voiliers construits par Julienne à 19 882,25 F par unité, laissant supposer qu’ils sont identiques. Un doute subsiste : les matricules conservés au Havre et à Rouen, qualifient l’Ernest-Manchon, R3, de sloop, les deux autres étant bien des cotres. Bien plus, leurs jauges nettes sont différentes ; R1 avec 25,23 tonneaux, R2 avec 13,49 tonneaux et R3 avec 13,49 tonneaux nets et 15,19 bruts. Cette différence de jauge nette ne marque peut-être qu’une différence d’aménagements intérieurs, l’affectation des volumes ayant un rôle dans le calcul de la jauge.

Dans son ouvrage sur le Magasin de Sauvetage de Quillebeuf, publié en 1902, Henri Wallon, qui eut accès aux Archves de la Chambre de Commerce détruites en 1944, précise que :  “ les trois voiliers Pouyer-Quertier, Emile-Duchemin, Ernest-Manchon confiés aux soins du constructeur L. Julienne, furent, d’après les indications du chef de pilotage, établis dans d’excellentes conditions de tenue à la mer et d’aménagement intérieur. Huit pilotes trouvaient dans chacun un coucher confortable ; cela valait mieux que l’hospitalité misérable de jadis, qui avait fait pitié à l’Amiral Cloué. “ Leur entretien est soigné car on voit les pilotes décider en janvier 1893, que les “ trois bateaux “ numéro 1, 2 et 3 seront doublés en cuivre et que les soins de ce travail seront confiés à monsieur L. Julienne. La dépense revint à 5 411,70 F, c’est à dire1 804 F par bateau, soit 9% de la valeur du cotre neuf.

Les trois cotres sont lancés par Julienne durant l’été 1891. Le journal Le Yacht du 18 juillet 1891 écrit : “ on a lancé o Granville dans le chantier de monsieur L. Julienne, le premier des trois grands bateaux-pilotes destinés à la station de Quillebeuf... Ce nouveau navire se nomme Pouyer-Quertier, jauge 26 tonneaux et a 19 mètres de longueur. La chambre contient six couchettes et le poste peut loger les quatre hommes d’équipage que comporte ce bateau...” Et le même journal rapporte dans son numéro du 5 septembre 1891 : “ le second bateau-pilote destiné à la station de Quillebeuf a été lancé à Granville... Il se nomme Emile-Duchemin et mesure 15 mètres de longueur à la flottaison. Le troisième et dernier, l’Ernest-Manchon doit être lancé incessamment. “ Ils sont francisés à Rouen le 17 novembre1891, armés au Havre en décembre, et commencent immédiatement leur dur travail en rade de la Carosse. Le travail à bord.

On peut se faire une idée de l’organisation du travail à bord de ces cotres, à travers un petit opuscule rédigé par le commandant Dormoy, chef du pilotage, en 1892, et intitulé Dispositions explicatives ou complémentaires des règlements de la station :
“ L’équipe de chaque bateau est de six pilotes qui embarquent pour reprendre leur tour.
L’heure de départ est impérative. L’’horloge du Musée fait foi. Les manquants ne sont pas remplacés.
La direction et la police du bateau reviennent au pilote le plus ancien présent à bord. Il est responsable de l’exécution du règlement des bateaux.
Le patron doit être à la barre, à la sortie comme à l’entrée. Il prescrit la voilure et les manoeuvres pour la direction donnée par le pilote le plus ancien.
Le tenue, les convenances et l’accord sont rigoureusement exigés. Tout désordre à bord sera sévèrement réprimé.
Il y aura toujours un pilote de veille sur le pont. La veille est de deux heures. Elle est faite à tour, du plus jeune pilote embarqué au plus ancien.
Le tour pour embarquer sur les bâtiments se présentant, est celui de la liste d’embarquement. Le tour des aspirants stagiaires est passé pour les bâtiments calant plus de 4,90 m.
Les heures de repas sont les suivantes : à 7 heures du matin : déjeuner; à 11 heures : dîner; à 5 heures l’hiver, à 6 heures l’été : souper.
La croisière se fait sous voile et ne doit pas être interrompue par un mouillage que par calme ou non vue. Il est interdit de laisser tomber l’ancre dans les passes. A moins de travailler pour un bâtiment qui vient en dedans, il est interdit de se tenir à moins de deux milles de l’alignement Cap de la Hève bouées 1,2,3,4,5,  et Numéro 0 ratier.
Il est de même interdit, hors les cas où la sécurité du bateau l’exige d pousser à plus de huit milles de l’alignement ci-dessus.
La croisière est faite par un seul bateau. Un autre est prêt à le remplacer lorsque le bateau de croisière a épuisé ses pilotes. Celui-là peut faire concurrence au bateau de croisière jusqu’à 2 milles au large de l’alignement Cap de la Hève, bouées 1,2,3,4,5 et Numéro 0 Ratier.
Le fait prouvé d’avoir par calcul laissé passer sans le servir un bâtiment de faible tonnage, entraîne pour le pilote de veille sur le bateau de croisière dix jours d’interdiction et l’échange de son salaire contre celui du pilote qui aura servi ce bâtiment. L’heure de l’infraction sera celle où le bâtiment aura franchi la ligne passant à deux milles de l’alignement précité.
Feu de mât. La plus rigoureuse surveillance doit être exercée par le pilote de veille sur la tenue du feu de mât. Le pilote est responsable de tout accident résultant de la non visibilité du feu.
Ceinture de sauvetage. Le canotier doit endosser sa ceinture de sauvetage la nuit quelque temps qu’il fasse, et le jour dès qu’il y aura un peu de mer. Une bouée de sauvetage sera dans les mêmes circonstances mise à bord de l’embarcation à l’usage du pilote.
Signaux de jour et de nuit. Le pavillon de Quillebeuf en berne le jour, et la nuit une torche montée six fois de suite, à intervalles égaux, indique que le bateau qui fait ce signal désire communiquer. Le pavillon national le jour, une torche montée quatre fois de suite la nuit, à intervalles égaux indique que le bateau de croisière a épuisé son équipe de pilotes.
L’aperçu de ces signaux est leur répétition “.
Ce document postérieur aux cotres, montre les pilotes de Quillebeuf à bord d’une petite chaloupe à moteur. ▲

A travers ce règlement intérieur on découvre les caractéristiques du pilotage à cette époque.
Tout d’abord on peut remarquer son ton sévère. Les pilotes se recrutent alors exclusivement parmi les habitants de Quillebeuf. La quasi-totalité d’entre-eux n’est titulaire d’aucun brevet et leur niveau d’instruction - et d’éducation - n’est pas toujours très élevé. C’est en 1900 seulement, que sera nommé Aspirant-Pilote, le premier Capitaine au Long-Cours qui exercera ce métier dans la station, James Mettler. Le chef du pilotage en exercice, Vallet, pouvait écrire en 1886, au Commissaire Général de l’Inscription Maritime, au sujet de leur conduite à Villequier : “ certains de ces hommes ne se sentant point un peu surveillés ( le syndic des gens de mer n’ayant pas l’autorité nécessaire pour une aussi nombreuse agglomération de pilotes ), sont constamment dans les auberges à jouer entr’eux et à boire, de telle sorte qu’au moment d’embarquer à leur tour, ils sont pris de boisson, quelquefois ivres, font des avaries, ou tout au moins, reconnaissant leur triste situation et l’incapacité dans laquelle ils sont de conduire le bâtiment dont ils ont la charge, le font mouiller et lui font perdre une marée ! “ Il serait injuste, et pire, inexact, de généraliser à partir de cette citation d’un supérieur qui, avait à l’époque, quelques difficultés personnelles avec ses subordonnés.

On remarque également les précautions prises pour que la concurrence entre les pilotes ne nuise pas au travail. Chacun perçoit en effet les taxes correspondant aux navires qu’il pilote lui-même. La bourse commune est interdite, bien que des caisses de secours mutuelles commencent à apparaître. Or le salaire correspondant à chaque navire est très variable. Il y a toujours la tentation, lorsque son tour est arrivé, de laisser filer les petits navires, pour aller se faire embarquer sur un gros, plus rémunérateur. Pour cela il suffisait d’éteindre les feux avec la complicité du patron, et de se glisser au devant d’un navire important, pendant que le petit, désorienté, cherche son pilote devant les bouées d’engainement. Cette pratique est encore attestée après la guerre mondiale, juste avant que la loi de 1929 n’abolisse le chacun-pour-soi, en organisant la mise en commun des fonds perçus et leur répartition régulière. Enfin, on aura reconnu le rôle déterminant des signaux : la radio n’existe pas et les navires sans s’être annoncés, il faut pouvoir rappeler des pilotes rapidement le cas échéant, d’autant que les “ fenêtres é permettant d’entrer en rivière sont réduites, trois heures à chaque marée environ. La zone de croisière couvre 6 milles en longitude, allant de la Hève à la côte du Calvados. Dans cette aire étroite, le voilier, qui dépend essentiellement des vents et des courants n’est pas l’idéal, les pilotes de Quillebeuf en prennent vite conscience.
Pouyer-Quertier, R1, patron Cottin, en croisière dans la baie avec son canot à la traîne. Une des rares photos montrant un pilote de Rouen sous toute sa voilure de route. ▲
Une navigation délicate sur le fleuve.

Jusqu’aux travaux d’endiguement du milieu du XIXe siècle, la Seine n’est navigable que par des unités de cabotage, dont le tirant d’eau ne dépasse pas 3 à 3,20 m.
L’heure de départ est impérative. L’horloge du Musée fait foi. Les manquants ne sont pas remplacés.
En effet, en raison des bancs qui encombrent l’estuaire, on n’engaine qu’environ deux heures avant la pleine mer du Havre, avec peu d e temps pour couvrir la vingtaine de milles entre Quillebeuf et la mer. Si le vent vient à manquer, on est amené à relâcher dans des posées, où le navire est à l’abri des effets destructeurs du courant-jusant qui affouille le sable sous les extrémités du navire et le brise, protégé également de la barre de flot, ( mieux connue maintenant sous son nom aquitain de mascaret ) qui chavire et naufrage irrémédiablement tout bâtiment échoué au milieu du fleuve. Ces posées sont le Hoc, la Carrière, Saint-Jacques, Cressonval, la Vieille Posée, Trancarville au nord, et Fiqufleur , Joble, Grestain, Berville ou la Canardière au sud, fréquentées selon la direction que suit momentanément le chenal. Chaque posée conserve environ deux mètres d’eau, soulageant d’autant le navire maintenu par des pieux à terre et des ancres au large.
A partir de 1847, on commence à construire des digues longitudinales débutant à Villequier et allant vers l’aval, obligeant ainsi le courant à se creuser un chenal fixe à travers les bancs : en deux ans on gagne ainsi, sans dragage, près d’un mètre cinquante de profondeur sur ces verrous naturels que sont les “ traverses “ , ou bancs traversiers. Le processus est mené jusqu’au travers de la Pointe de la Roque. Cependant, à l’aval, et notamment entre l’embouchure de la Risle et la rade, il faut attendre le milieu du XXe siècle, pour voir le chenal se fixer définitivement.
Le mascaret devant Quillebeuf. ▲
Les améliorations de la Seine maritime.

Les dangers de la navigation de la Seine maritime avaient frappé depuis longtemps les esprits : il y avait là une voie d’eau magnifique qui aboutissait à Paris, capitale du royaume, et que l’on ne pouvait guère exploiter qu’à grand peine
Dès 1756, un ingénieur, Magin, posait le principe que l’absence de chenal principale fixe, au milieu d’un fleuve excessivement large, était la cause de ces atterrissements infranchissables. Il préconisait des épis flottants que l’on placerait aux endroits que l’on voulait creuser. Des essais eurent lieu, assez encourageants. Cette technique “ douce “, disons-le en passant, était originale et demandait peu d’énergie. En 1765, un avocat parisien propose un canal latéral de Honfleur à Vatteville. Lamblardie, créateur de l’Ecole des Ponts et Chaussées, propose un canal latéral sur la rive droite en 1785. La révolution française ne laissait aucune chance d’aboutir à ces projets.

Mais ils vont continuer à fleurir : Cachin, 1792, canal latéral rive gauche ; Lescaille, 1823, barrage entre Honfleur et Orcher ; Pattu, 1825, barrage entre Honfleur et Harfleur ; Brétigny, 1825, canal latéral rive droite jusqu’à Saint-Paul ; Sénéchal, 1826, barrage du Hode à Berville ; Fresnel, 1826, canal latéral rive droite ; Frissard, 1832, canal des Neiges, digue de Tancarville à La Roque, épis de rétrécissement, coupure à Yainville, Bleschamps, 1840, digues longitudinales avec barrage terminal entre la Roque et Tancarville ; Bouniceau, 1840, endiguements longitudinaux ; Forti, 1846, endiguements.

C’est finalement, en 1845, un voyage d’étude réalisé en Grande-Bretagne, par le Président de la Chambre de Commerce de Rouen, Théodore Le Picard, accompagné de l’Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées Doyat et de J? Rondeaux, ancien Président de la Chambre de Commerce, qui déclencha le processus. Un certain nombre de rivières britanniques avait été aménagées grâce à des endiguements longitudinaux qui canalisaient le courant de jusant, entraînant ainsi les sédiments et approfondissant le chenal navigable. La création de la ligne de chemin de fer Paris - Le Havre, déjà arrivée à Rouen en 1843, était un puissant aiguillon. La loi du 21 mai 1846 déclara d’intérêt public les premiers endiguements et les travaux commencèrent en 1847.

Les solution retenues devaient se révéler judicieuses et évolutives, même si les jalousies de clocher, les guerres, les crises économiques, devaient en retarder l’aboutissement. De plus, la valeur des terrains acquis sur la rivière dépassait le montant des travaux. On peut imaginer ce que serait actuellement le trafic maritime de la Seine si un canal latéral avait creusé, si un barrage avec des écluses l’avait terminé.
Ultérieurement, les dragages, la modélisation des projets avant leur réalisation ( modèles réduits du fleuve sur lesquels on vérifie les solutions envisagées en laboratoire d’hydraulique ), ont encore bonifié les premiers résultats.

Le canal de Tancarville
Evoquant les dangers de la navigation en Seine, Charles Lenthéric voit dans l’ouverture du canal un remède définitif :

“ Le mieux donc est de laisser l’embouchure quand on le peut, et la solution presque toujours adoptée consiste à ouvrir un bras artificiel, à creuser un canal latéral du fleuve à l’abri de tous les atterrissements, et protégé à l’amont et à l’aval par des sas éclusés.

Tel a été l’objectif du fameux canal du Havre à Tancarville, dont la construction a donné lieu à tant de polémiques, et qui a définitivement ouvert à la navigation en 1887 (... ) On conçoit sans peine que l’établissement de cette voie artificielle qui pouvait changer, au profit du Havre, le contact entre la batellerie fluviale et les navires de mer, ait soulevé de la part de Rouen de très vives objections. On se demandait avec inquiétude, en effet, si les bateaux de mer ne s’arrêteraient pas presque tous au Havre, n’abandonneraient pas définitivement la remontée de la Seine, et si le port intérieur de la Normandie, un peu délaissé, ne serait pas plus qu’un port exclusivement alimenté par la navigation fluviale et ne subirait pas une sorte de déclassement. Ces craintes ne sont heureusement pas réalisées. “

De fait, si la batellerie emprunte régulièrement le canal, la quasi-totalité des navires de mer accèdent toujours à Rouen par l’estuaire. La véritable amélioration des conditions de navigation sur le fleuve vient de la régularisation du chenal naturel.
Le pilotage, un art de précision.

A l’époque qui nous occupe, on peut parler d’un véritable art du pilotage. On s’efforce de faire venir à Rouen de très grands navires.
Le métier exige une connaissance parfaite de ses techniques, une grande attention et un solide sang-froid, car tout navire échoué dans l’estuaire de la Seine est un navire perdu. 
L’exception est très rare. L’Amiral Cloué, auteur d’une étude sur  “ les marées de la Basse-Seine “ cite le cas du Border Chieftain : “ Ce bâtiment a touché en face de Honfleur le 28 mars dernier ( 1889 ) à 7 heures du matin ; à 11 heures le pont éclata ; à 1 h 20 le navire était ensable de 5 mètres et, avant la pleine mer suivante, il était recouvert par l’eau. “

Plus loin, on trouve une description de ce qu’on appelle maintenant le mascaret : “ C’est près de Berville, que le mascaret prend naissance “... A Quillebeuf, “ la barre tient alors toute la largeur du fleuve, comme dans toutes les patries où le parcours est direct. Cette masse d’eau qui s’avance à une vitesse de 15 noeuds, et dont la partie antérieure est verticale, atteint selon la dénivellation une hauteur de 0,50 m à 2 et 3 mètres dans les grandes marées ; “ la barre “ enfin forme un arc convexe vers l’aval, dont la partie supérieure déferle peu, car la masse d’eau nouvelle qui remonte le fleuve glisse dans presque toute sa largeur sur une couche d’eau ; mais ses extrémités qui sont en contact avec les berges découvertes, et les petits fonds qui avoisinent les rives, brisent avec fureur et sont suivies immédiatement de plusieurs fortes lames appelées “ ételles “ ou “ éteules “, plus dangereuses que le mascaret lui-même par les dégâts qu’elles causent. Ces lames, qui atteignent jusqu’à 7 mètres de hauteur, sont dues probablement au violent frottement sur le fond, de la masse d’eau arrivant avec une aussi grande vitesse, et peut-être aussi à un reste de jusant étouffé sous le flot ? “
Amédée Dormoy, chef du pilotage, nommé ne mai 1887 doit faire preuve de qualités exceptionnelles pour permettre à  ses pilotes de tirer le meilleur parti d’un chenal particulièrement difficile : sinueux, fréquemment en travers au courant, rempli de bancs de sable d’une grande mobilité. Il commence par organiser un service de sondage efficace, ne dépendant plus de l’humeur ou de la fatigue des pilotes. Au moyen d’un petit vapeur à éperon on sonde quotidiennement à la perche, avec une grande précision, les passages difficiles. Une étude approfondie des marées lui permet de tirer parti d’une particularité locale, la présence de deux pleines mers successives. Il fait alors monter de grands navires avec un pied de pilote, ( distance théorique entre le fond et la quille ), réduit au minimun  ( 20 ou 25 centimètres seulement, ce qui ne s’était encore jamais fait ). Pour cela, le navire doit se présenter sur le premier haut pendant la première pleine mer, puis franchir le deuxième seuil au deuxième plein avec une précision de quelques minutes !

L’Amiral Cloué en est fortement impressionné, et relate ainsi le passage, en septembre 1888, de l’Obock, calant 6,75 m : l’Eclaireur, petit vapeur affecté au pilotage, était à sonder une heure à l’avance sur la barre, j’avais tenu à accompagner le chef du pilotage pour assister à cette intéressante opération. Un quart d’heure avant l’heure fixée, il y avait, sur le haut, juste le tirant d’eau du navire qui approchait. Le chef du pilotage, sûr de la quantité d’eau qui allait monter encore fit le signal convenu, à défaut duquel le navire serait retourné en rade du Havre, et l’Obock s’approcha franchement, suivi de l’Eclaireur qui sondait devant lui ; le haut fut franchi avec 0,25 m d’eau sous la quille, il faisait calme complet. L’Obock ne pouvait arriver avec le premier flot, il tirait trop d’eau pour passer entre les deux flots ; c’est pourquoi le chef du pilotage lui avait prescrit d’arriver devant Quillebeuf à midi 25, heure de la seconde pleine mer. La distance à parcourir était de 30 kilomètres, environ 17 milles ; le navire porté par le courant devait marcher doucement pour mettre près de trois heures à faire aussi peu de chemin. La seconde pleine mer ne dure que quelques minutes, le navire a su les utiliser. “ © image Chasse-Marée © image Chasse-Marée © image Chasse-Marée © image Chasse-Marée © image Chasse-Marée © image Chasse-Marée
 
 
 
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